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MontbaZine 2023



Les employeurs aiment
les sans-papiers...

... parce qu’ils ne peuvent pas réclamer leurs droits.



Ils sont manœuvre, plongeur, nounou ou femme de ménage. Ils travaillent sans fiche de paie, parfois depuis des années et témoignent de leurs difficultés et de leurs aspirations, alors qu’ils espèrent bénéficier de l’assouplissement des règles pour les métiers dits "en tension".

Ousmane Bangoura, 27 ans, est originaire de Guinée Conakry. Il vit en France depuis cinq ans, et travaille sans papiers dans le BTP depuis son arrivée. Chez lui, à Cergy (Val-d’Oise), le 9 novembre 2022.

Depuis qu’il est arrivé, en 2017, Ousmane a toujours travaillé, même pendant le confinement. Pourtant, il n’a qu’une feuille de paye, qui correspond à quelques jours dans une usine de tri dans le Maine-et-Loire, en 2019. Autrement, plusieurs patrons lui ont promis de le déclarer mais, aucun n’a tenu parole. "C’est dans leur intérêt, je touche maximum 50 euros par jour", dit-il.

Le jeune homme, rencontré grâce au Centre d’entraide pour les demandeurs d’asile et les réfugiés du Secours catholique, où il est bénévole, se sent à la fois "découragé" et "révolté" de se faire "exploit-er sur des chantiers" dans un pays auquel il porte "un amour sincère". Il ne voit pas comment "sortir du trou" dans lequel sa situation administrative irrégulière le maintient. Faute de fiches de paie, il ne peut pas prétendre à une régularisation. La circulaire Valls de 2012 prévoit la possibilité d’une "admission exceptionnelle au séjour" pour les salariés à condition qu’ils présentent entre huit et vingt-quatre bulletins de paie et une promesse d’embauche, après trois à cinq ans de présence en France.

"Ils profitent de moi"
Le gouvernement a annoncé vouloir assouplir ces règles dans les "métiers en tension", comme le bâtiment, l’agriculture ou la restauration. S’il avait des papiers, Ousmane Bangoura aurait "une vie normale, comme tout le monde". Il pourrait se loger autrement que dans la chambre qu’il sous-loue 350 euros par mois dans le Val-d’Oise et où les taches d’humidité maculent un coin de plafond. Il pourrait changer de métier. "Quand je vois les annonces de la RATP, ça me fend le cœur", confie cet ancien chauffeur de bus.

Sidibe Sambanou regarde, lui aussi, avec envie les offres d’emploi de manœuvre sur le site de recherche Indeed. Régulièrement, il est sollicité par SMS ou par mail. Le CV de ce Malien de 35 ans, qui habite en Seine-et-Marne, intéresse. Il sait monter des parpaings, poser des joints, du parquet, du carrelage, faire du mortier, de l’enduit, de la peinture… "J’aime le bâtiment, je peux être chef d’équipe", assure-t-il.

Sidibe a des tas de photos dans son téléphone qui racontent tous les chantiers qu’il a écumés depuis qu’il est arrivé, en octobre 2018. En les faisant défiler, il tombe sur un cliché de la médaille du travail décernée, en 2005, par la France à son père. Il était ouvrier dans la logistique et a partagé sa vie entre la région de Kayes et le 19e arrondissement de Paris.

source : Le Monde (13-11-2022)

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